Certaines personnes pensent que le destin de chacun, homme ou monstre, est tracé d'avance dans les cieux. D'autres, au contraire, ne croient pas en ces fabulations et misent tout sur le hasard. Mais il existe encore, dans l'ombre, des personnes qui se cachent d'autrui, ceux qui ne croient ni en la destinée, ni au hasard. Ils ne font confiance qu'en eux, qu'en leurs capacités. Longtemps reniés, ces hommes s'étaient retirés de la face du monde, profitant d'une vie calme loin de toutes hostilités politiques. C'est dans cet environnement que naquirent des êtres revêches. Ces monstres d’orgueil et de fierté créèrent une nouvelle société, un nouveau peuple, de nouvelles croyances. Ils voulaient se démarquer de tous ce qui les entouraient et choisirent leurs Dieux eux-mêmes. Ceux-ci avaient quelque chose d’extrêmement différent qui les faisait sortir du lot. Ils étaient en chair et en os, avaient les mêmes besoins que les vivants: boire, manger, dormir. Découverts au fin fond du Grand Canyon dans l'Utah, ils étaient vite devenus des idoles à qui l'on offrait de nombreux sacrifices. Mais plus ils grandissaient, plus ils devenaient dangereux. Des mesures étaient à prendre, et les villageois choisirent la plus radicale. Ils se rebellèrent contre ces Dieux, beaucoup de morts s'ensuivirent et le sang coula longtemps. Mais de cette guerre résulta un nourrisson, le fils des Dieux Dragons.
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Un petit garçon se promenait nonchalamment sur les bords d'un ruisseau asséché, ses cheveux auburn irradiés par les rayons du soleil couchant, ses yeux au regard acéré ne négligeant aucun mouvement. Il marchait avec un flegme naturel, soupirant devant la soumission du soleil face à la nuit. Il serait bientôt rappelé au village pour rendre service aux femmes préparant la nourriture. Mais avant ce moment fatidique, il voulait rester seul, tranquille, observer le paysage désolé qui s'offrait à sa vue. Devant lui tout n'était que désert, roches et sable rouge. Toute la végétation se trouvait derrière lui, en direction de la "maison", ainsi que les rivières abondantes de vie et d'écailles, et les montagnes couvertes de neige, au lointain. Mais à l'horizon, tout disparaissait pour devenir poussière et cadavres. Des os recouvraient le sol craquelé à maintes endroits, pas une seule herbe folle ne venait égayer cette solitude, pas un seul pas venait fouler son sol. Le petit garçon aimait à se répéter que son âme était telle que ce paysage. Un sourire vint frôler ses lèvres, l'heure approchait. A contre-cœur, il fit demi-tour, se dirigeant d'un pas déterminé vers les toits et les murs qui se profilaient au loin. Arrivant à destination, il n'attendit pas d'être appelé pour se presser vers les femmes qui commençaient à sortir leurs ustensiles de cuisine. D'un geste prompt, il alluma le feu qui se répandit sur le bois disposé dans un trou creusé à même la terre. Le reflet des flammes vacillantes dansait dans les yeux du jeune garçon, lui rappelant ses instincts animales longtemps enfouis au fin fond de son être. Ses jointures craquèrent sinistrement, son regard obnubilé par le feu qui dévorait tout, oui, dévorait.. Une voix le fit soudainement sortir de sa torpeur, le vieux chamane du village s'avançait vers lui.
▬ Vous êtes tourmenté jeune homme, me trompe-je ? Quelle est la chose qui peut bien vous troubler ainsi ?
Levant les yeux, il le regarda. Son fasciés ridé, ses yeux en fente, sa canne. Tout en ce vieil homme inspiré la vulnérabilité, mais le garçon savait que ce n'était qu'apparence. Il ignora la question, détournant le regard de ce visage qui l'avait longtemps suivit. Un rire sans joie s'échappa de ses lèvres tandis qu'il se remémorait tous les bons moments passés en compagnie du jeune garçon, son ami, qui se trouvait maintenant à ses côtés, au bord de la mort. Une voix rauque et cassé s'éleva, telle les étincelles s'envolant dans les airs.
▬ Arrête de m'appeler ainsi, tu sais très bien que derrière les apparences, je suis plus vieux que toi. Et cesse de t’inquiéter, je ne ferais rien d'inconsidéré. Du moins, pour l'instant..
Sur ces paroles, il s'éloigna sans but précis. Il avait remarqué le pli soucieux sur le front du vieil homme, et savait que ses paroles l'avaient touchées mais il ne voulait pas s'en préoccuper. Cela faisait maintenant plus d'un siècle qu'il était dans ce village, a errer comme un fantôme. Ses parents avaient essuyé une rébellion et en étaient morts, le laissant seul au milieux de tous ces hommes. Mais contre toute attente, ceux-ci ne l'avait pas tué, car il était différent de ses géniteurs. Était-ce parce qu'ils avaient toujours vécu entouré d'humains ? Ou bien était-ce une toute autre chose ? Personne n'en était sûr, tout du moins, le dragonneau possédait la faculté de prendre forme humaine. C'était sans aucun doute ce qui avait poussé les villageois à ne pas l'écorcher vif. Et ils l'avaient donc pris sous leur aile, lui inculquant leurs règles et leurs lois, lui obligeant à garder cette forme ingrate. Mais cela commençait à lui peser, il n'en pouvait plus, il ne voulait plus rester. Comment avait-il seulement pu rester une seule seconde après la mort de ses parents ? Il en avait été témoin, et les souvenirs de leur triste sort venaient le hanter chaque nuit. Ils avaient subis une mort atroce, le garçon s'en souvenait très bien, tout c'était déroulé sous ses yeux. Les villageois les avaient pris par surprise pendant leur sommeil, sachant que rien ne pourrait les éveiller et avaient commencé à leur faire subir des assauts répétitifs d'une violence inouïe. A force de douleur, les Dragons étaient sortis de leur torpeur pour faire face maladroitement aux attaquants, ils ne pouvaient pas se déplacer correctement, pris au piège dans leur caverne, ne pouvant s'envoler pour fuir au loin. Alors ils avaient endurés les coups qui, au fur et à mesure, entamaient leur peau dure comme l'acier. Puis, épuisés, ils s'étaient laissés trainer hors de leur refuge. C'est à ce moment que le cauchemar avait commencé. Leurs ailes furent arrachées pour leur empêcher toute fuite, puis leurs yeux furent crevés par simple plaisir. On commença à les dépecer, écaille par écaille pour atteindre plus facilement le cœur qui fut transpercer d'une lance. Ce que le jeune homme se rappelle le plus, et ce qui le torture davantage que ces images, c'est le dernier cri. Le cri de bête abattue sans une once de pitié, déchirant l'obscurité, résonnant dans les montagnes. Voilà ce qu'il subissait chaque nuit, en boucle, jusqu'à son réveil. Qu'est-ce qui l'empêchait de partir, de reprendre sa véritable apparence et de s'envoler loin, loin de tous ces manants, de tous ces meurtriers sans cœurs qui avaient pensé qu'il pourrait les aimer ? Rien. Il venait de s'en rendre compte, et une rage folle dirigée contre lui-même l'embrasa, sans crier gare. Il devait partir, il allait le faire. Mais pas comme ça, pas sans laisser un souvenir au village. Un sourire carnassier déforma son visage.
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La nuit était tombée depuis quelques heures, seules les respirations régulières des villageois endormis venaient troubler le silence. Le jeune garçon traversa la ruelle lourdement, distant, qui ricochait sur les murs. Des bruits de voix commencèrent à s'élever, des pas précipités se dirigeaient vers la sortie. Quand la moitié du village se fut retrouvée, entourant le garçon, perplexes, celui-ci passa à l'acte. Un éboulement vint distraire l'attention des habitants tandis qu'il commençait sa transformation. Devant le tapage, le tremblements des murs, tout le monde s'affola. Les têtes se retournèrent et un cri, un seul, s'échappa de la foule. Un dragon immense les surplombait de toute sa masse, ses ailes battant à tout rompre. Dans un rugissement terrible, des flammes sortirent de sa gueule, venant embraser maisons, végétations et habitants. Quelques uns échappèrent à cette sinistre scène, pour être les acteurs d'une autre bien pire encore. Le dragon, imposant, s'était posé à terre et dévorait tous ceux sur son passage. Une voix apeurée, étranglée par le craquement du bois sous le poids des incendies et des hurlements stridents, vint à attirer son attention.
▬ Pourquoi ?! POURQUOI ?! Que t'avons-nous fait pour mériter cela ? ... JAKE ! Réponds-moi !
Ce fut la goutte qui fait déborder le vase. Jake, Jake.. Le nom qu'ils avaient osé lui donner, négligeant celui de ses parents. Il se retourna vivement, détruisant plusieurs maisons avec sa queue proéminente, et, les crocs acérés tachés de sang, il déchiqueta son vieil ami, sans une once de scrupules, sans aucun regret. Puis, ayant terminé son festin, mais n'étant pas rassasié de toutes ses années de servitudes et d'enfermement, il s'envola dans les airs, s'éloignant vers l'horizon. Cette nuit resta à jamais graver dans sa mémoire: une nuit noire, tachée de sang et virevoltant dans les flammes, avec pour seul témoin la Lune.
Deux siècles passèrent. Deux siècles à tuer, dévorer, brûler tous ceux qui se dressaient sur son chemin. Depuis qu'il s'était envolé dans la nuit pour fuir son infâme passé parmi ces humains, il n'y était jamais revenu. Personne n'avait eu vent de ce massacre, car les habitants dont il avait détruit l'existence avaient été reniés, complètement oubliés. Mais ceux et celles qui étaient passés ensuite entre les mâchoires avaient été pleurés dans de nombreux états, les survivants chassant le monstre mais ne le trouvant jamais. Dès que le dragon assouvissait sa faim, il s'en allait ailleurs. Ainsi, en trois siècles d'existence mais seulement deux de liberté, il avait voyagé à travers les contrées et les pays, témoin de tous les progrès technologiques, médicinales et autres. Un seul pays, où plutôt une petite île, lui avait échappée. Il s'y rendit, terriblement affamé. Comme toujours, son train-train quotidien arriva bien vite, il détruisit quelques villes sous les flammes et fit couler le sang à flots. Mais quelque chose, quelqu'un intervint dans sa routine. Une organisation, la CdC, vint calmer ses ardeurs, avec une violence répondant à ses assauts interminables. Ils arrivèrent à bout de ses forces et lui expliquèrent des tonnes de choses, voyant son ignorance du monde monstrueux. Puis il fut envoyé dans une école spécialisée, ToS, pour les personnes comme lui. Il s'y rendit de son plein gré, pensant qu'il se plairait dans un environnement rempli d'êtres tous plus différents les uns que des autres.
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Maintenant, tout se passe pour le mieux du monde avec Jake. Il a appris à contrôler son insatiable faim, à ne pas dévorer ses confrères. Il se tient calmement dans cet établissement où personne ne le rejettent, où personne ne le traite comme un monstre. Mais quand est-il de ses pensées à lui ? Eh bien, tout le monde le dégoûtent, il les trouvent hypocrites et sans valeurs. Mais il leur apparaît doux comme un agneau, pour ne pas briser les préjugés car personne ne connaît ses antécédents. Mais comme on dit souvent, il ne faut pas se fier aux apparences..