— Ton père. C'est un gros con.
Marrant. Dit ainsi ça paraît péjoratif. Eschyle dévisage le garçon qui vient de lui asséner cette insulte. Il retient un premier réflexe : celui de lui démonter la gueule à l'aide de ses deux petits poings hyper-pulvérisateurs. Ca semble être un bon point mais Eschyle essaie de garder son sang-froid. On lui dit qu'il est trop impulsif, trop colérique. Au départ il pensait que ça voulait dire qu'il était méchant, mais finalement, non. C'est juste qu'il s'énerve trop vite. Il a bien retenu la leçon de sa mère, il a bien retenu le fait qu'il est toujours mieux d'ignorer ou converser avant d'en venir aux mains. Alors Eschyle hausse les sourcils d'un air indifférent et retourne à ses occupations, c'est à dire à contempler les jouets exposés dans une vitrine d'un grand et nouveau magasin, assez fier d'avoir pu ne pas sauter au cou de l'autre idiot. Mais le petit Lewis n'arrive plus à trouver le soldat qu'il regardait aussi tentant qu'auparavant. Pourquoi cet imbécile vient lui dire que son père est un con ?
— Tu as entendu ? C'est un vrai fils de putain.
En plus il insiste. Non mais vraiment. Eschyle ne comprend pas. Tout le monde trouve son père extraordinaire d'habitude. Et c'est justifié ! Il a monté une grande association pour les plus démunis avec sa femme, il a une grande entreprise de nouvelles technologies et il a toujours des tas de rendez vous avec des gens très respectables. Il est souriant, joueur, marrant, très apprécié. C'est pas le genre d'homme à être un
con, ni quoique ce soit d'autre. Mais l'autre est toujours là, il attend qu'il parle, et il se met à ricaner. Il lui dit "Décidément, t'es aussi pourri que ta famille.", alors il s'en va et lui assène un dernier regard noir. Cependant, c'était la phrase de trop. Eschyle lui attrape l'épaule et le met rapidement à terre, le frappant violemment au visage. Un petit de cinq ans qui fait ça au beau milieu d'une galerie, ça fait du bruit, et rapidement sa nourrice vient le chercher, l'autre s'enfuit.
Le fils Lewis a toujours été très admiratif, impressionné par son père. Quand on lui disait ce qu'il voulait faire plus tard, c'était faire perdurer le petit et respectable empire que son paternel avait réussi à mettre sur pied. C'était son héros, son modèle, et sa mère trouvait ça trop mignon. Une vraie petite famille parfaite, un bonheur sans tâche, sans nuage.
Monsieur Lewis était donc un grand homme d'affaires, très généreux, très ouvert. Il balançait des billets à ceux qui en demandait dans la rue et filait le grand amour avec sa jolie femme. Son fils ne faisait que parfaire encore un peu plus ce tableau, bien qu'il soit quelque peu incontrôlable quelques fois, il restait un petit garçon sociable, curieux et très joyeux. Eschyle était un enfant comblé, et même s'il était fils unique, il ne se sentait jamais seul. Il n'imaginait pas un instant qu'il puisse vivre dans le mensonge de cette richesse, du pouvoir qui avait finalement emporté son père, de l'appât du gain qui se veut toujours et toujours plus grand, plus important que tout le monde, parce que sa présence rendait sa réalité toujours plus belle.
Parce qu'il y avait
elle.
Etrange qu'il ne se souvienne même plus de son prénom. Il se souvient de petits détails mais il lui est impossible de se souvenir de son prénom. Il entend encore sa voix mélodieuse lui dire de venir manger une glace chez elle, il sent encore son parfum léger qui flottait toujours derrière son passage quand elle commençait à courir devant lui, ses yeux clairs et ses cheveux bruns. Mais impossible de se souvenir si son nom sonnait comme Lily, ou bien Elizabeth. Il se souvenait donc de petites choses, qui parfois s'effaçaient puis revenaient brusquement, lui laissant une nostalgie et un remord immense comme cadeau.
Alors il l'appelle Lisbeth, parce rien d'autre ne lui vient à l'esprit. Il est certain que ce n'est pas sa véritable identité mais lorsqu'il veut la citer, ou essayer de l'appeler, il la nomme Lisbeth.
— On se raconte des histoires qui font peur ?
— Quel cliché ! Ce n'est pas parce qu'on dort dans une tente dans ton jardin qu'il faut obligatoirement s'effrayer !
— Ho, mais dis moi, tu n'aurais pas un peu peur déjà, ma chère Lisbeth ?
— Pff ! Moi ? Tu me prends pour cette poule mouillée de Kate ?
— Kate n'est pas une poule mouillée... si ?
— Le mot est faible, Eschyle ! Elle avait une grenouille sur sa robe l'autre jour, et elle a commencé à hurler comme quand ta nourrice nous surprend en train de voler des cookies.
— Ah, oui, quand même...
— Déçu, n'est-ce pas ? Elle n'est pas si géniale que tu le croyais !
— Tu... Ce n'est pas ça du tout ! Elle est juste gentille, il n'y a rien de plus.
— C'est ce que tu dis. Je t'ai vu regarder sa culotte quand elle a fait sa stupide pirouette la semaine dernière.
— Hahaha ! Et alors, c'est tout à fait légitime, même Derek a jeté un coup d'oeil. Tu ne serais pas jalouse, par hasard ?
— N-N'importe quoi ! Oh, et espèce de pervers !
Le père de Lisbeth et celui de Eschyle travaillaient la plupart du temps ensemble, ce qui permettait à Lisbeth et Eschyle de se retrouver très souvent. Ils se disputaient quelques fois pour rien mais ils en venaient toujours à exiger d'être le plus possible ensemble, dehors, sous la tente qu'on leur avait monté. C'était un peu leur repère, un truc rien qu'à eux deux.
La salle était pratiquement vide, et Eschyle avait l'impression d'avoir assurer plus que cet imbécile de Louis. Une guerre s'était installée entre les deux jeunes garçons dès que Eschyle l'avait aperçu en train d'embrasser la joue de SA Lisbeth. C'était la sienne, c'était lui qui la connaissait mieux que personne, c'était avec lui qu'elle avait passé des nuits et des nuits dans une tente bleue à se coller à lui parce qu'elle disait que les loups pouvaient venir les manger, c'était sa Lisbeth. Et c'était son Eschyle. Alors dès que l'occasion se présentait, il arrivait en plein milieu d'une conversation entre le dénommé Louis et son amie afin de lui couper l'herbe sous le pied : il avait bien fait cette fois-ci de l'inviter pour la dernière séance au cinéma des Dents de la Mer, un des films de 1975 qui avait plu à pratiquement toute l'école. Il se souvient qu'elle était à sa gauche, et qu'elle avait serré son bras très fort contre elle du début à la fin.
— Maintenant je vais avoir peur d'aller à la plage, c'est bien joué !
— Tant mieux, comme ça personne ne te verra en maillot mis à part moi.
Elle avait stoppé sa marche, l'air surprise de la réplique lancée par Eschyle de manière si détendue et surtout, aguicheuse. Il se souvient que Lisbeth avait humecté ses lèvres, fuit son regard vert d'un air gêné mais il avait senti qu'elle se retenait de sourire.
— La dernière fois qu'on y est allé...
— Tu avais un maillot rose avec des froufrous...
— J'avais été obligé de mettre cette horreur ! Et tu t'étais moqué de moi toute la journée !
— C'est parce que je te trouvais très jolie mais que je voulais pas l'admettre.
Ils étaient proches désormais, et Eschyle pouvait même voir chaque cils de Lisbeth. Les mains dans les poches, ce fut elle qui déposa lentement ses mains sur ses joues, qui se mit sur la pointe des pieds et qui déposa ses lèvres contre les siennes.
— C'est une manière de dire remercier mon compliment, rien de plus, c'est ça ?
— Tu as tout compris.
— Je t'en ferais plus souvent alors !
Et elle avait ricané.
C'était un peu étrange de sortir avec sa meilleure amie mais Eschyle était très satisfait. Maintenant, ils avaient abandonné les jeux futiles et les disputes qui ne faisaient que tourner autour du pot. C'était bien, cela avait été direct. Il avait baissé les armes et avait dit qu'il était fou d'elle. Qu'il ne voyait qu'elle, qu'il ne verrait toujours qu'elle. Et elle avait répondu positivement, et c'était une des plus belles victoires contre cet enculé de Louis.
Et puis en cette année de 1977, tout bascula.
Rien que d'y repenser, Eschyle se tend, commence à frissonner, se dégoûte. Il n'aime pas être celui qu'il est devenu, il n'aime pas repenser à ce qu'il a pu faire, à ce dont il est sûrement responsable, à la tristesse que cette nuit a déclenché.
Cette soirée-là, tandis que la nouvelle chanson d'un artiste français Claude quelque chose bâtait son plein, un air comme Alexandrie Alexandra, Lisbeth et Eschyle avaient prétexté voir les chiens à l'arrière de la grande maison et s'étaient en fait rendu tout droit vert la tente dans le jardin. Le peu d'intimité dont ils pouvaient profiter ces temps-ci suite à des affaires entre leurs pères les frustraient et c'est donc avec une hâte et une certaine violence contrôlée qu'ils aimaient tant qu'ils commencèrent à se déshabiller. L'air de la tente commençait à devenir lourd, la chaleur pesante et bienfaitrice, les gestes pressés, les regards aguicheurs, amoureux. Un vrai amour de jeunesse.
— Si ton père nous surprend, il nous tue.
— Tu veux dire que si TON père nous surprend, il ME tue !
Elle avait ri et ils avaient continué, profitant de ce contact qu'ils n'avaient pas eu depuis bien trop longtemps.
Mais lorsqu'ils rentrèrent repu de ce désir à l'intérieur, la scène qui se déroulait devant eux les dérouta, faisant écrouler l'onirisme de leur relation, de tout ce qui avait fait le bonheur de cette maison.
— T'es un enculé, Lewis ! T'es un putain d'enculé !
— Qu'est-ce que tu vas faire, hein ? Tu vas me dénoncer, alors que je peux t'offrir encore plus gros maintenant ? Tu veux que ta fille et mon fils vivent bien, hein ? Tu vas pas tout détruire. Tu peux pas tout détruire.
— Putain mais... Si tu te fais attraper tu es cuit !
— Tu ? Dis plutôt "nous". Toi aussi je te fais savoir. Tu fais des affaires avec moi depuis le tout début en le sachant. Et non, on ne sera pas arrêté.
— Mais je ne savais pas que tu profitais de la pauvreté des autres, en plus de faire des détournements de fonds pour acheter des saloperies de robes hors de prix à ta femme !
Les yeux d'Eschyle s'écarquillèrent. Son coeur commença lentement à battre la chamade, la colère à l'inonder, s'infiltrant dans tous ses membres. Lisbeth l'observait d'un air inquiet, et semblait tout aussi déroutée que lui. Alors oui. C'était vrai. Louis avait eu raison depuis le début.
— Ton père. C'est un gros con.
Il s'en était suivi une violente dispute. Eschyle se souvient de la violence de ces mots, des excuses que lui faisaient son père et cette phrase répétée sans arrêt : "C'était pour toi ! J'ai fais ça pour la famille !". Et là, il hurle "Mais quelle famille ?". Sa mère vivait ici pour son argent, profitait de son absence pour le tromper avec des hommes plus jeunes, lui même faisait pareil. Les dîners s'étaient toujours fait dans le silence, les jeux s'étaient fait toujours rares, les rires lui semblaient aujourd'hui avoir été toujours forcé. C'était ça, leur recette familiale, une soupe servie dans une marmite brillante et chaude, et qui finit par devenir froide et dégueulasse. Du dégoût, de la rancoeur, et surtout de la déception. Son père n'avait jamais été celui qu'il avait admiré. Et Lisbeth était effrayé, pleurant doucement dans les bras de son propre père stupéfié par la violence qui se dégageait d'un Eschyle brisé, honteux, trahi.
— Je me tire !
— Non, Eschyle, attends ! Pense que ça n'a pas été vain, tu as de l'avenir, tu reprendras mon flambeau et...
— Et ainsi, je deviendrais un salopard comme toi ! Tu fais espérer des gens qui sont dans la souffrance pour t'enrichir. Tu ne fais que retarder leur déception avec tes beaux discours ! ...un peu comme tu l'as toujours fait avec moi en fait.
Et il avait claqué la porte. Lisbeth l'avait rattrapé, elle l'avait supplié de ne pas s'enfuir comme ça. Puis elle s'était énervée dans le jardin, l'avait forcé à se tourner, puis lui avait dit qu'il était lâche, qu'il devait comprendre...
— Toi ?! Tu savais ?! Et tu ne m'as rien dit ?
— Comment voulais-tu que...
— Je sais pas moi ! Tu aurais pu venir et me dire "Ha! Au fait Eschyle chéri, ton père se fait du fric avec son association ! On va baiser ?"
— Je... Je pensais pas que tu le découvrirais un jour, ça fait si longtemps maintenant...
— Alors en plus tu me mens depuis longtemps ? Tu sais quoi, tu me dégoûtes toi aussi. Je t'avais pardonné tes écarts avec Louis mais là c'est la goutte qui fait déborder le vase.
Elle avait hurlé, le forçait toujours à revenir, le tirait. Et puis la grande main de Eschyle avait fendu l'air, la mettant à terre. Elle frôlait de ses doigts sa lèvre ensanglantée, fixant les yeux écarquillés de stupeur de son désormais ex-petit ami, qui recula et finit définitivement par partir.
"
Je pense qu'un loup a toujours sommeillé en moi. Il n'y a que les fils de chiens qui font ces choses là."
Il courrait désormais. Sa respiration était saccadée. Il paniquait, il se sentait mal d'avoir fait ça à Lisbeth. Toutes ces vérités éclataient à sa gueule soudainement, à un moment où il s'y attendait le moins, il ne savait plus comment réagir, qui croire. Il voulait revenir, convaincre son père d'arrêter tout ça avant qu'il ne soit trop tard. Alors il arrêta de courir. Il était dans une étrange partie de la forêt qui faisait face à leur grande maison et qui, si l'on filait tout droit, donnait directement sur le village voisin, où il avait grandi. Il faisait nuit, l'air était froid, transperçant sa peau, et enfin il déboucha sur la rue principale, à cette heure-ci déserte.
Il ne savait pas spécialement où se rendre, il voulait simplement partir de cette ville, fuir cette odeur de trahison, de mensonge. Eschyle avait d'ailleurs un mauvais pressentiment, comme si ce soir là allait être décisif pour lui comme pour quelqu'un d'autre. Et là, au beau milieu de la route, l'air perdu, il ignorait qu'il avait vu juste.
Mais il n'avait pas le temps de s'en soucier que bientôt, des phares éclatants surgissaient soudainement au bout de la rue. C'était une petite voiture bleue qu'il ne reconnut pas tout de suite, et dont il ne craignait pas l'arrivée. Il était sûr qu'elle allait tourner dans la rue de droite, car personne, à cette heure-ci, ne quittait le village. Dos à elle, il continuait d'avancer d'un pas hésitant, pommé dans son propre environnement. Et puis l'ombre qui se dessinait devant lui, celle de sa propre silhouette, s'allongea brusquement. Il tourna brusquement la tête et ce fut la fin.
Il attendait le coup, la douleur, quelque chose. Mais rien ne vint et il pensa que ce devait être ça, être mort.
Mais Eschyle Atlance Lewis n'avait même pas une égratignure. Il avait levé ses mains devant son visage, une protection certes inutile mais qui lui avait semblé décisive pour pouvoir survivre il y avait de cela quelques secondes. Eschyle les laissa tomber le long de son corps et il reconnut la petite Triumph bleu qu'avait récemment eu sa chère et tendre... Lisbeth.
La carrosserie mimait un parfait accordéon, et de la fumée noire et épaisse s'échappait de l'avant. Pris d'une soudaine terreur, Eschyle se contenta d'appeler à l'aide, ameutant une bonne partie du village en quelques secondes, tous réveillé par le crissement des pneus sur le bitume, et du bruit de la collision entre la voiture et le mur du petit centre commercial. Puis il prit la peine de s'approcher, ses battements de coeur lent, le souffle court, les yeux luisants de larmes.
Lisbeth ne s'était pas attaché et elle s'était littéralement écrasée dans la paroi, traversant au passage le pare-brise, tel une vulgaire poupée de chiffon.
Et ce fut sa fin.
Il supporta les pleurs des parents de Lisbeth à l'hôpital, les regards lourds et pleins de reproches des siens, les interrogatoires lents et mornes de la police, pour déboucher enfin sur un simple accident d'une grande tristesse. Lisbeth ne s'était pas attaché, elle roulait vite, un piéton était arrivé et elle avait voulu l'esquiver, y laissant sa vie. Mais tout le monde savait ce que cela voulait dire. Eschyle était le coupable indirect de cette tragédie.
Et bien entendu... ce fut la fin des belles relations entre la famille de Lisbeth et celle de Eschyle.
Eschyle n'avait alors pas encore conscience que cette nuit avait marqué sa fin à lui aussi. La fin de son humanité, d'un avenir possible, d'une réconciliation avec sa famille. C'était le début de sa solitude, de sa disparition, de sa fuite, de son réel dégoût, de l'enclenchement soudain d'un gène oublié. Mais il ne le sut que quand la nuit vint s'installer quelques jours suivant l'accident, et que lentement, ses muscles se déchirèrent, s'allongèrent douloureusement, que sa mâchoire partit en avant dans un craquement, que ses pupilles se dilatèrent et quand ses ongles et dents poussèrent soudainement, le faisant devenir bête. Sauvage.
Incontrôlable.
Tout se passait trop vite. Avec une vitesse alarmante, il avait retrouvé son apparence humaine, la tête appuyé contre un parquet froid et lisse, mais aussi étrangement collant. D'une naïveté soudaine, il pensa qu'il n'avait plus le souvenir d'une énième fête à laquelle il avait participé et dont il n'était pas ressorti indemne, mais quand il vit que le liquide était d'un rouge oscillant entre le clair et le sombre, son coeur commença instinctivement à battre la chamade. Et c'est avec horreur qu'il découvrit le corps à moitié dévoré de sa proie.
Louis, son adversaire de toujours.
La vérité s'était affichée toute seule. En face d'un miroir, il voyait sa bouche barbouillée d'hémoglobines, son tee-shirt en lambeaux portant des marques inquiétantes de doigts en sang qui s'étaient accrochés à lui et cet aspect sauvage, dégueulasse.
Il avait anéanti la vie de deux personnes qui l'avaient fait souffrir. En une semaine seulement.
IL l'avait dévoré. IL avait fait ça. IL n'était plus humain. Alors IL devait fuir, loin. Le jour se levait à peine, sa métamorphose finie, il passa quelques instants chez lui après avoir vomi ses tripes dans la forêt, avait pris une douche rapide, fait son sac et laissé un simple mot qu'il avait accroché au coin de la grande glace du couloir, dans lequel Lisbeth se regardait toujours.
La porte se claqua et le mot atterrit sur le carrelage.
"Un monstre engendre un monstre. Je ne suis plus le même."Alors pendant des années, il avait erré, se dégoûtant lui-même. Il découvrait ses nouvelles aptitudes, son agilité, sa vitesse, sa force. Il s'exilait le plus loin possible des habitations, se lacérait son aspect qui le faisait souffrir. Il ne manquait pas d'argent, son père en ayant placé des tonnes dans un compte rien que pour lui. Il s'occupait, voyageait, était libre et prisonnier. Il s'entraînait à contrôler ses transformations, ses humeurs, car il semblait encore moins contrôlable qu'avant, même sous forme humaine. Il découvrait qu'il ne vieillissait pas, que toute sa vie était détruite. Et puis un jour, il entendit des gens chuchoter dans un coin, quelque part en France, lors d'un de ses énièmes voyages. En 60 ans, on en a du temps de faire ce qu'on veut.
— Oui, la construction va commencer bientôt.
— C'est bien qu'ils pensent à nous, un peu. C'est vrai quoi... on souffre tout seul. La majorité d'entre nous ne se contrôle pas ou alors ils y arrivent mais ne peuvent pas trouver leur place.
— Ils sont intelligents ces Japonais. J'ai hâte d'entrer dans cette académie pour créatures.
Les yeux de Eschyle s'écarquillèrent. Le Japon ? Une académie ? N'était est-ce pas un parfait moyen de rencontrer d'autres gens comme lui ? Alors il s'introduit dans la conversation et en apprend plus. Il a largement un an pour se mettre à apprendre le Japonais. Il travaille comme un dingue, et décide même d'y aller tout de suite, histoire de s'habituer.
Il ne serait plus seul, maintenant.